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A découvrir plus en détail dans notre Gouvernail du mois d’octobre 2023

John Howe et son fils Dana évoquent la musique médiévale

Dana Howe et son père John lors de notre rencontre à Saint-Blaise en septembre 2023.

Le Gouvernail | Dana Howe, comment vous y prenez-vous pour décoder et réinterpréter des musiques très anciennes

Dana Howe | Nous nous sommes peu à peu coupés des traditions des musiques anciennes mais il nous reste des témoignages, sous forme de textes ou de partitions  ; en tant que spécialistes, notre rôle est d’utiliser ces précieuses informations, venues parfois du 12e siècle pour les plus anciennes, pour les jouer de la façon la plus proche de celle du moment où elles ont été composées.

Dans les faits, nous allons croiser nos partitions anciennes avec d’autres informations que nous avons sur l’époque, que ce soient des textes qui traitent de musique, de culture ou de société, ou alors de l’iconographie ou encore des instruments, qui demeurent dans des états très divers dans les musées ou les collections privées.

Nous tentons de faire un compte rendu de ce que l’on sait et de procéder à une interprétation de la musique qui inclut tous ces éléments.

Plus on recule dans le temps, plus le langage et la notation musicale changent. Aussi, si l’on travaille sur un texte français du 18e, on le comprend fort bien, en revanche un texte du Moyen Âge est plus complexe et il s’agit bien souvent de faire appel à nos spécialistes et de confronter ensuite nos diverses compétences.

Cela dit, il est utopique de penser que nous parvenons à jouer une partition du 12e siècle de façon authentique, il reste toujours une part d’interprétation et de création de notre fait. Même un morceau des Beatles ne peut être joué à cent pour cent comme à son origine ; pourtant ce n’est pas si vieux et nous sommes en possession d’innombrables enregistrements, de partitions et de musiciens brillants.

Lors d’un concert de musique ancienne, nous nourrissons notre performance de toutes les informations que nous avons réussi à recueillir au fil du temps et ainsi ouvrir une fenêtre sur le paysage sonore et musical de ces temps reculés.

Le Gouvernail | On dit que la musique ancienne se classe en trois grands groupes. Pourriez-vous développer ?

Dana Howe | La musique ancienne se classe en trois grands groupes : Le Moyen âge (jusqu’à la fin du 15e siècle), la Renaissance (16e siècle) et la période baroque (17e et 18e siècles).

Pour chacune de ces périodes, nous avons des manières très diverses de noter la musique, selon l’instrument ou le contexte. Avant la notation que nous connaissons aujourd’hui, datant de la fin du 18e siècle, la manière d’écrire le rythme et la graphie des notes ont connu de nombreuses variantes.

Dans le courant du 18e siècle, on va vers une harmonisation de l’ensemble de la notation musicale, dont l’histoire a démarré grâce aux ecclésiastiques qui ont voulu enseigner et transmettre plus rapidement un patrimoine musical extrêmement riche et complexe. Ainsi, on codifie en lieu et place d’expliquer par le texte ou par oral que cette note-ci monte et que cette autre descend…

Le Gouvernail | Finalement, qui sont les gens qui dénichent les pépites de la musique ancienne ? D’ou viennent ces précieux témoignages ?

Dana Howe | le temps et les frontières
Des traces de notations musicales en Orient et en Chine se trouvent entre les mains de spécialistes ; nous-mêmes sommes peu renseignés sur ces écrits. En revanche, nous avons de très belles interprétations de musique iranienne et/ou de l’empire ottoman où l’on écrivait très assidument. En faisant un grand pas en arrière, nous trouvons des fragments grecs et quelques raretés romaines.

Via un travail conjoint entre les interprètes, les luthiers et les musicologues, en utilisant les ressources à disposition dans les musées, par le biais d’expérimentations et de lectures de textes anciens, il nous est possible de recréer des instruments tels qu’ils se présentaient en diverses époques (comme le luth sur lequel joue Dana).

Certains artisans que l’on qualifie de luthiers ou d’archéo-luthiers sont à la pointe de la recherche dans ce domaine précis ; leur travail se base presque exclusivement sur l’iconographie car certains instruments anciens ont totalement disparu.

Ces gens-là sont des scientifiques qui analysent les moindres détails, jusqu’à la position du musicien que l’on observe sur des toiles d’époque. Cela dit, ils restent avant tout des musiciens passionnés qui ont un grand plaisir à jouer.

Si l’on interprète une pièce de Vivaldi sur des instruments issus d’un travail historiquement informé et qu’ensuite nous jouons cette même pièce avec des instruments modernes, la différence est plus que significative ! L’histoire de l’humanité est orale ou écrite mais, on n’a malheureusement plus le son ; d’où l’importance des recherches faites autour des musiques anciennes afin de rendre à toutes ces périodes cet élément capital.